Le peuple Guinéen doit être choqué par ses conditions de vie précaires (Par Saikou Yaya Diallo).
N’a-t-on pas dit que « l’Homme libre est celui qui est révolté contre l’oppression ? ».
N’a-t-on pas dit que « toute liberté offerte sur un plateau d’or produit des fruits amers ? ».
N’a-t-on pas dit que « l’Homme n’obtient une chose que s’il la désire ardemment, voir même être obsédé par cette chose ? ».
Ces affirmations qui constituent le socle du développement et de l’épanouissement de tous les peuples qui ont réussi à sortir de la misère, sont des valeurs que le peuple de Guinée ignore ou refuse d’intégrer dans sa vie de tous les jours, afin de sortir de sa précarité.
Classé au rang de 8ème pays le plus pauvre au monde en 2020 par l’agence Américaine Think tanks et le 178ème /189 pays en terme d’indice de développement humain (IDH) selon le Programme des Nations unies pour développement (PNUD) en 2019, ce qui le place parmi les dix (10) pays les plus pauvres au monde. La misère dans laquelle patauge le peuple de Guinée depuis des décennies, saute à l’œil nu et aucun mot n’est suffisant pour la décrire.
Quel paradoxe ? La Guinée est l’un des premiers pays au monde qui dispose d’énorme potentiel minier et environnemental. En plus de la plus grande réserve de bauxite au monde (plus de 2⁄3), elle dispose d’importante réserves d’or (découverte de l’or à ciel ouvert à Gaoual et dans d’autres villes du pays) ; de Fer ; d’uranium ; de pétrole et de gaz offshore ; de diamant, etc. A cela, s’ajoutent les conditions climatiques favorables à l’agriculture (plus de 7 000 000 d’hectares de terres arables), l’élevage et la pêche (les eaux guinéennes disposent de nombreuses variétés de poissons et autres espèces halieutiques en quantité inestimable. Mais hélas, surpêchées par les chinois et exportées à l’étranger au détriment de l’assiette du citoyen). Sur le plan humain, les intellectuels guinéens font la fierté à l’étranger et dans les institutions internationales notamment, dans le domaine de l’éducation et la recherche, la médecine, l’ingénierie, dans les banques et finances, dans l’entreprenariat, que sais-je encore ? Mais hélas, tout cela ne profite guère à la population qui vit dans une extrême pauvreté.
Cette incompréhensible et inacceptable situation me renvoie à la question que la plupart des observateurs se posent, celle de savoir : les guinéens sont-ils maudits ou sont-ils condamnés à vivre éternellement dans la pauvreté ?
Pourquoi en dépit de cet énorme potentiel, les Guinéens n’arrivent pas à sortir de la précarité qui, il faut le dire, a fini par ternir leurs images et les rabaisser aux yeux des autres peuples, notamment leurs voisins ?
La réponse la plus facile qu’on nous donne le plus souvent est de dire que la Guinée n’a jamais eu de bons dirigeants de Sékou Touré en passant par Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, jusqu’à Alpha Condé. Qu’ils sont tous mauvais et que personne d’entre eux n’a pu poser les véritables bases du développement du pays. Certes, mais la question qu’il faille se poser est de savoir, pourquoi n’ont-ils pas réussi ? C’est parce qu’ils étaient tout simplement mauvais et haïssaient les Guinéens ou bien parce que le peuple lui-même n’a jamais été très exigeant vis à vis d’eux ? D’ailleurs, c’est pour des raisons d’intérêts personnels ou des considérations ethniques et régionalistes que bon nombre de citoyens guinéens apportent leur soutien ou s’opposent à leur président et à son gouvernement. Mais, pas parce que ces derniers gèrent bien ou pas le pays. Dans de telles conditions, comment peut-on répondre concrètement aux besoins d’une population lorsqu’elle n’est pas capable de les exprimer clairement ou qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut ?
Contrairement au peuple sénégalais, malien, ghanéen, ivoirien, burkinabé, bref tous les peuples qui ont su tirer leur épingle du jeu, ont exigé de leurs dirigeants la bonne gestion des biens de l’État et le respect des lois de la République. Quant au peuple de Guinée, c’est un peuple résigné, qui est prédisposé à accepter toutes sortes d’oppressions et d’humiliation de la part de ses dirigeants. Et qui mise toujours sur la mort du dictateur pour espérer sortir de sa misère. Alors qu’en dehors de la personne du dictateur, le système de gouvernance que ce dernier a réussi à mettre en place est pire. C’est pourquoi, même si le dictateur passe, son système se perpétue dans le temps. C’est à cela que nous assistons en Guinée depuis plus de 60 ans. Les mêmes fonctionnaires (cadres et subalternes) qui ont servi le régime de Sékou Touré ont continué à servir Lansana Conté et ce sont les mêmes qui continuent à servir le régime d’Alpha Condé sous l’œil indifférent voire laxiste du peuple. Face à cette situation, la plupart des Guinéens, bien que conscients des conséquences néfastes dues aux mauvais comportements de ces fonctionnaires véreux, te dirons « nous ne pouvons rien faire pour les changer ». Mais, il faut se poser la question de savoir comment les autres peuples (sénégalais, burkinabé, malien, ghanéen, etc) ont réussi à s’affranchir de la dictature de leurs dirigeants et combattre leurs systèmes et que nous (Guinéens) ne pouvons rien faire pour changer les nôtres ou les contraindre à bien gérer les deniers publics ?
La Guinée est privée de tous les services sociaux de base fondamentaux et indispensables au bien être de la population comme: l’adduction d’eau et d’électricité ; la construction des infrastructures routières et les moyens de transport moderne (Bus et Train) ; d’un système éducatif répondant aux besoins du marché de l’emploi avec des infrastructures modernes (bâtiments et programmes adaptés) ; d’un service de santé au standard international et des produits pharmaceutiques certifiés (constructions des hôpitaux et renforcement du contrôle de qualité) ; du développement du secteur public et privé pour booster l’employabilité des jeunes (moderniser l’administration et développer le secteur privé) ; de la mise en place des fonds spéciaux pour soutenir les initiatives privées (PME et GIE) des jeunes et des femmes ; de favoriser l’accès pour tous à l’internet et aux moyens de communications modernes. Mais aussi, à l’industrialisation du pays et au développement du secteur agricole pour favoriser l’émergence d’un marché intérieur et l’exportation des produits manufacturés, afin de soutenir la croissance économique comme le produit intérieur brut (PIB) par exemple.
Pourtant, les pays voisins de la Guinée sont en train de se doter de toutes ces infrastructures (nouvelles routes et des moyens de transport modernes, des aéroports modernes, des écoles et universités modernes, des hôpitaux modernes, large couverture du réseau internet et téléphonique, etc), des créations d’emplois pour la jeunesse et le soutien aux initiatives privées. Le Guinéen quant à lui, semble se plaire dans sa misère ( inexistence des routes bitumées à Conakry et à l’intérieur du pays, niveau de dégradation avancé de celles existantes ; pas de logements sociaux et manque criard d’écoles et d’hôpitaux ; consommation des produits pharmaceutiques contrefaits et des produits alimentaires périmés ; environnement pollué par les ordures (Conakry) ; manque d’emplois pour la jeunesse; faible production agricole ; manque d’eau et d’électricité ; usage excessif de la violence par les forces de défenses et de sécurité dans la répression des manifestations politiques et sociales, etc). Le Guinéen de nos jours essaie tant bien que mal à trouver une raison valable à sa situation pour pouvoir davantage se résigner. Tout en espérant que Dieu descendra du ciel un jour comme par enchantement, pour changer sa situation. Chimère ! Cela n’arrivera jamais, donc inutile de rêver debout car pour aspirer au changement, l’homme doit agir en sortant de sa zone de confort. Il n’y a que les actions qui produisent des résultats, pas l’envie ou la pensée, encore moins les lamentations d’un individu ou d’un peuple.
La vie étant un rapport de force, que ça soit avec Alpha Condé ou un autre président, le peuple de Guinée ne pourra jamais atteindre son plein épanouissement et profiter de toutes ces richesses que le bon Dieu lui a gratifié, tant qu’il n’arrivera pas à avoir une emprise réelle sur ses dirigeants. En exigeant d’eux, la gestion équitable des ressources de l’État et le respect des lois de la République. Pour cela, dans son ensemble, le peuple doit prendre son destin en main et être persévérant dans sa lutte pour la démocratie et l’État de droit. C’est pourquoi, il doit par tous les moyens résister à l’oppression du dictateur Alpha Condé, pour servir de leçon à celui qui viendra après lui. En ayant en tête que « nul dictateur n’est invincible, plutôt c’est le peuple qui est faible ou indifférent ».
Force est de reconnaître que ces derniers temps, plusieurs actions ont été entreprises par le peuple de Guinée pour sortir de la précarité dans laquelle ses dirigeants le maintiennent depuis des années, du fait de la mal gouvernance. Par exemple : les grèves des syndicalistes, suivis des émeutes populaires en 2006 – 2007; les manifestations des opposants au stade du 28 septembre en 2009 contre les abus de la junte militaire de Moussa Dadis Camara ; les multiples manifestations de rues entre 2010 et 2020 contre la violation répétée des lois de la République par Alpha Condé et la vie chère. Tout récemment la création du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), pour empêcher Alpha Condé de briguer illégalement un troisième mandat, après avoir juré par deux fois sur cette même constitution de respecter et de faire respecter les lois de la République, de veiller au fonctionnement normal des institutions républicaines et d’appliquer les décisions judiciaires.
S’agissant du FNDC, une plateforme (originale en son genre) qui a su fédérer la majorité des guinéens de l’intérieur et de la diaspora autour d’un idéal commun, celui de défendre les acquis de la démocratie chèrement obtenus par le peuple au prix d’un lourd sacrifice. Les acteurs de la société civile, de la classe politique, les syndicats, les universitaires, les citoyens ordinaires ont tous rejoint la dynamique pour dire à Alpha Condé que le peuple de Guinée est foncièrement opposé à son maintien au pouvoir après ses deux mandats. De l’intérieur à l’extérieur du pays, des manifestations de rues ont été organisées par le biais des antennes mises en place sous la supervision de la coordination nationale de la plateforme. Mais face à la répression des manifestants (plus de 200 morts, des personnes blessées et handicapées à vie, des arrestations et emprisonnements massifs, des destructions des biens privés) par les forces de défense et de sécurités déployées par Alpha Condé et sa bande pour empêcher ses opposants. Les leaders du FNDC ont manqué de stratégie et de détermination. Cette situation a été renforcée par l’indifférence du peuple qui a fini par abandonner le combat et se résigner en simple observateur. La plateforme s’est fissurée de l’intérieur du fait de la corruption, de l’intimidation et des arrestations arbitraires de ses leaders par le pouvoir en place.
Ainsi, suite à l’abandon du combat par le peuple et par certains leaders du mouvement, Alpha Condé a pu réaliser son satanique projet de troisième mandat, après avoir versé le sang des centaines de guinéens, kidnappé et emprisonné près d’un millier de citoyens, détruit des biens de ces derniers et contraint d’autres à l’exil.
Encore une fois, malgré toutes les chances qu’il avait de gagner son combat contre la dictature d’Alpha Condé, le peuple de Guinée a encore échoué du fait de son manque de détermination et de son laxisme à l’endroit de ses dirigeants.
Conséquences, comme ses prédécesseurs, Alpha Condé a réussi à contenir les dissidences du peuple de Guinée et semble avoir toutes les chances de mourir au pouvoir sous l’œil indifférent du peuple, dont les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles du fait de la corruption, du détournement des deniers publics, du manque criard d’infrastructures de développement et de la violence d’État qui sont érigés en système de gouvernance.
Attendant la mort naturelle du dictateur, dont nul ne connaît le moment exact, le peuple de guinée semble ne plus essayer quoi que ce soit pour sortir de sa misère. En tout cas, c’est ce qui semble se dessiner à l’horizon à entendre les discours de la plupart des citoyens. Chacun préfère se lamenter dans sa maison contre la vie chère et la privation de ses libertés fondamentales. Pire, attendre indéfiniment que Dieu vienne apporter le changement.
La leçon qu’il faut tirer de cette situation, ce qu’il ne faut jamais abandonner, car aucun sacrifice n’est assez grand pour bâtir une nation prospère. Ainsi, quelles que soient les difficultés liées à un combat, il faut aller jusqu’au bout au risque de se retourner à la case départ, c’est le cas actuellement en Guinée.
Mais, est ce que le peuple de Guinée doit-il abandonner sa lutte pour la survie de la démocratie et l’État de droit ? Cette population ne mérite-t-elle pas le bonheur comme toutes les autres populations des pays développés ?
Oui, oui et oui, le peuple de Guinée mérite, plus que n’importe quel autre peuple de bien vivre en profitant pleinement de ses ressources naturelles que Dieu lui a gratifié. C’est pourquoi, un sursaut national ou un éveil de conscience est impératif et d’actualité pour continuer le combat, afin d’obtenir la victoire finale. Pour cela, les leaders politiques, sociaux, syndicaux, religieux et les citoyens doivent encore une fois, main dans la main se mobiliser pour galvaniser la masse. D’ailleurs, le FNDC qui est un acquis dans ce sens doit se réorganiser, améliorer sa stratégie et donner le ton pour continuer le combat qui est loin de se terminer. Contrairement à certains pessimistes qui pensent que ce combat n’a plus sa raison d’être, du moment où Alpha Condé a pu se maintenir au pouvoir en obtenant son troisième mandat, tout combat reste vain. N’a-t-on pas dit que « la force et la violence peuvent quelque chose, mais n’ont pas toujours tout ? »
Vaillant peuple de Guinée réveille toi et poursuit ton combat jusqu’à la victoire finale, car la misère dans laquelle tu vis n’est pas une malédiction divine, mais les conséquences de ton manque d’exigence et d’audace vis-à-vis de tes dirigeants !
Saikou Yaya Diallo.
Juriste-Consultant, Enseignant-chercheur et activiste de la Société civile