NE BRÛLONS PAS LA GUINEE ! (Par Tierno Monénembo)
Question : Quel est le meilleur explosif pour faire sauter un pays africain ? Réponse : le mélange détonant de la fumisterie des élites locales et du laxisme de la communauté internationale. Ce Cocktail Molotov- là, rien ni personne ne peut le désamorcer. Comme le climat ou la gravitation terrestre, il fonctionne à sa guise et n’obéit qu’à son propre rythme. Après la Somalie, le Rwanda, le Libéria, la Côte d’Ivoire et quelques autres damnés du plus damné des continents, c’est en Guinée qu’on sent venir son odeur maléfique et les ravages irréparables de son souffle.
Laissons les cyniques et les hypocrites feindre les étonnés et contentons- nous de comprendre la logique implacable (ou plutôt le pitoyable enchevêtrement de cynisme et d’incompétence, de légèreté et de mauvaise foi) qui nous a conduits- là.
Nous savons depuis la Bible que toute malédiction découle d’un péché originel- en Guinée où tous les fléaux arrivent en trombes, de 5 péchés au moins, et encore, nous ne parlons que de la malédiction en cours, celle de l’après- Dadis :
1-la désignation de Sékouba Konaté à la tête de L’Etat:
Sékouba Konaté l’ange envoyé par Dieu pour sauver la Guinée du démon Dadis Camara ! Voici la première blague, de cette désopilante foire aux cancres qu’est devenue la Transition à la guinéenne ! Que le Général Sékouba Konaté soit mêlé ou non à la répression sanglante du 28 Septembre, sa fonction de ministre de la défense le rend moralement coresponsable de ce terrible drame surtout qu’il n’a jamais pris ses distances, à plus forte raison, présenté sa démission.
Du jour au lendemain et sans prendre la peine de se justifier, les grands de ce monde ont subrepticement effacé son nom de la liste des assassins susceptibles de comparaître devant la Cour Pénale Internationale. Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Pourquoi lui et pas Coplan ou Tartempion ?
Comment aurait réagi notre belle humanité si en 1945, on avait songé à Himmler ou à Goering pour nous faire oublier les horreurs du nazisme ?
Je ne suis pas de ceux qui croient que l’armée guinéenne ne comprend que des voleurs, des drogués et des tortionnaires. Il existe en son sein de nombreux soldats et officiers patriotes et compétents qui n’ont jamais été ni corrompus ni directement impliqués dans la répression sanglante et ininterrompue que connaît notre pays depuis 1958. Les élections auraient déjà eu lieu- dans le calme et dans la sécurité !- si on n’avait pris la peine de confier à l’un d’entre eux, les clés de la Transition.
2-la désignation de Jean- Marie Doré comme Premier Ministre :
On ne nomme pas Premier Ministre, le chef d’un parti politique. On ne confie pas le bétail à un fauve affamé. Par principe, un premier ministre de Transition est une personnalité neutre sans ambition politique et sans réputation partisane. Ce n’est pas le cas de Jean- Marie Doré, ce leader de l’UPG dont les aspirations présidentielles sont connues de tous. Si l’on n’avait voulu d’une transition, courte, régulière, et transparente, on aurait, sans hésiter, choisi un fonctionnaire international ou un gestionnaire de haut niveau, intègre, compétent, à l’abri du besoin et surtout peu susceptible de porter ombrage aux politiciens ou de se compromettre avec eux.
On n’aurait voulu dès le début saboter la Transition que l’on ne se serait pas pris autrement !
D’accord, il fallait nommer un cadre issu de la Guinée Forestière pour calmer les ressortissants de cette région après l’attentat (jamais élucidé !) contre Dadis !
Justement, en Guinée comme dans le reste du monde, la Forêt regorge de cadres de haut niveau, patriotes, et politiquement indépendants ! Pourquoi n’a- t- on pas pensé à Ansoumane Doré, à Jean- Jacques Laho, à maître Kamano ou à Mohamed Béavogui, par exemple ?
3-la reconduction (à peu de choses près) de la Ceni telle que conçue sous le régime de Lansana Conté.
Un processus électoral crédible doit commencer par se doter d’une commission électorale crédible. Les membres de celle- ci doivent parfaitement refléter les exigences du renouveau : nouveaux visages ou du moins, nouveaux tempéraments (compétence, intégrité, indépendance d’esprit etc.). Il aurait fallu trier sur le volet des hommes et des femmes (magistrats, syndicats, citoyens honnêtes, personnalités morales) dépourvus de tout esprit partisan, et capables de résister aux pressions politiques et financières d’où qu’elles viennent. Une Ceni infestée par les partis politiques et quotidienne manipulée par la présidence et par la primature devient tôt ou tard un danger sinon pour le pays du moins, pour la démocratie.
Nous n’aurions pas eu besoin de recourir aux services d’un Général malien (c’est vrai que devenus des citoyens d’un pays mineur, d’une République sous tutelle, l’orgueil national n’a plus aucun sens pour nous), un agent de l’OIF, cette organisation internationale qui, tout le monde le sait, ne passe pas pour la la plus propre en matière d’élections africaines…
4- une constitution bâclée, un CNT aux prérogatives floues et à la configuration incertaine :
A ceux qui s’étaient plaints d’une Constitution rédigée à la hâte et instituée par décret, à ceux qui avaient fustigé la manière aléatoire dont le CNT avait été composé (nominations à l’amiable, effectif gonflé selon l’humeur de sa présidente), il avait été opposé et à juste titre l’argument de l’urgence : il fallait faire vite avant que les « Dadistes » ou d’autres têtes brûlées ne reprennent le pouvoir. Mieux valait une démocratie imparfaite qu’une dictature aussi hystérique!
Soit !…
Seulement voilà : neuf mois après, nous avons tous les inconvénients d’une transition brève au service d’une autre qui n’en finit pas de finir. Bref, aux méfaits du choléra, nous avons joyeusement ajouté les délices de la peste !
5- La désignation de Blaise Compaoré comme médiateur :
On ne nomme pas non plus, un chef d’Etat en exercice au poste de médiate. Il eût mieux valu John Kufuor, Alpha Oumar Konaré ou tout autre ancien chef d’Etat réputé un tant soit peu, démocrate et crédible.
Cette série de failles semble si bien agencée qu’on se demande après coup si elle découle d’une étourderie ou d’un plan minutieusement concocté.
Jusqu’ à la fin du mois de Juillet, aucun doute n’était permis : les insuffisances, toutes les insuffisances devaient figurer sous la colonne de l’amateurisme et de la confusion dans un pays où l’Etat (la torture en moins !) a toujours été brouillon, empirique, diablement inexpérimenté. Mais aujourd’hui, tous les citoyens doivent se déciller les yeux, les ouvrir grands, et regarder la réalité en face : le report plusieurs fois répété, absolument scandaleux, du second tour n’a rien de fortuit. Il est délibéré, machiavélique et ne vise qu’un objectif : influer par des voies non démocratiques sur le résultat de l’élection. Et là- dessus, il serait vain de gloser sur la responsabilité de tel ou tel candidat. Les violences ethniques que nous vivons, les discours haineux que nous entendons ne sont que les fruits de l’irresponsabilité du gouvernementson terrible complice, le silence de la communauté internationale. Oui, disons- le haut et fort, plus personne ne croit à la neutralité de l’Etat! Plus personne ne croit à l’impartialité des forces de sécurité !
Conduire une élection revient à fixer dès le début des règles claires, et de les appliquer objectivement jusqu’au bout sans tenir compte ni des circonstances ni des hommes. La période électorale est dangereuse dans tous les pays du monde. C’est une période malsaine où l’appétit du pouvoir déchaîne les passions les plus inhumaines. Comme les opérations chirurgicales, elle doit être la plus courte, possible. Une élection de près de cinq mois, conduit inéluctablement au chaos!
Or, le chaos est déjà à nos portes !
La répression sélective et les déplacements de population sont des signes qui ne trompent pas en Afrique. Ce sont les prémices d’un mal qui a rongé nombre de nos voisins, la guerre civile, cette lèpre sans médicament qui a brûlé les buildings de Freetown et de Monrovia et affamé la florissante Côte d’Ivoire.
Guerre civile sur fond de conflits ethniques et religieux, dit- on, sauf que les véritables guerres tribales (différents fonciers, conflits éleveurs- agriculteurs etc.) font rarement plus de dix morts ! Alors que celles d’aujourd’hui- entendez celles sur fond de pétrole, de gaz, de bauxite et d’uranium ; des mesquines rivalités politiques locales et des terribles guerres souterraines entre grandes puissances- nous ont déjà coûté le Tchad et le Soudan, l’Angola et les deux Congos.
La Guinée, pour avoir échappé aux massacres du 28 Septembre et aux discours haineux de Sékou Touré et de Lansana Conté se croyait immunisée contre ce mal- là. Hélas, aucun pays du monde n’est immunisé contre la connerie politique. Regardez la Somalie : une seule ethnie, une seule religion, une seule langue et aujourd’hui cinq Somalies qui ne se disent même plus bonjour sinon par la voix des mitraillettes.
La Guinée est au bord de l’explosion et à ce stade, on a envie de dire : « Stop, pas un pas de plus dans cette funeste direction- là » ! Pinçons- nous, reprenons nos esprits, revenons vers nos fondamentaux ! Regardons l’Histoire, regardons la Culture : nous ne sommes pas des ennemis, nous sommes des frères, tous sortis d’un même moule identitaire!
Hélas, mille fois hélas, si l’ethnie, chez nous, ne repose sur aucun fondement objectif, la manipulation ethnique, elle, est bien réelle !
Certes après cinquante ans de dictature, de sang, et de ségrégations de toutes sortes, chacun d’entre nous a droit à la colère mais aucun d’entre nous n’a droit à la haine !
Demain après ces élections (qui doivent rester des élections, c’est- à- dire la possibilité pour chaque citoyen de voter en toute tranquillité pour le candidat de son choix !) nous devons, nous retrouver dans un magistral troisième tour sans peur, sans méfiance, sans rancune ; bref, en totale complicité comme nous l’avons toujours fait depuis l’empire du Ghana.
Tierno Monénembo